Évidemment, j'ai assez vieilli pour ne plus prendre la vie par phases binaires, à ce stade de mon cheminement écrit. Ce soir, du moins, je l'espère. J'ai plutôt l'impression de suivre la logique floue, une alternative au raisonnement bayésien, probabiliste.
Je vois la vie en gros blocs de beurre fondu qui s'empilent les uns sur les autres. Et j'en tire une forme d'accomplissment plutôt lourde et indifférenciable, mais où figure quelque expérience. Une autre phase contemplative qui prend fin; il me faut vivre, vivre! Et ce constat n'est pas négatif, bien au contraire, il motive des missions auprès des autres, une implication sociale jamais vue, où j'agis en personnage secondaire, sans me retourner comme toujours vers mes propres intérêts!
C'est de la culpabilité qui te ronge. Qui passe le rabot dans ton crâne, il neige des morceaux osseux sur tes idées. C'est pourtant simple à comprendre.
Je tarde, je tarde à agir, je me contente de planer dans le petit milieu humanoïde immédiat. C'est si bon d'avoir la rétribution tout de suite, de savoir qu'on vaut beaucoup pour les autres en agissant de manière ponctuelle, sans manier les gages d'une promesse plus grande, bien plus grande, tétanisante. Oui! L'avenir, le bel avenir! Le voici, de l'autre côté de la nuit, qui te met en vedette quelque part dans un monde de lumière et de prétentions! On y touche! Ensemble!
Non! Je refuse de m'amender! C'est trop facile! Je m'ennuie de ma famille, de ma mère! Je vis un enfer de projections!
Crr, crr.
Le travail est immense. Le site web du Patro est énorme. Toutes mes tentatives d'alléger la tâche sont inutiles, et déploient ces longues ombres impossibles sur les murs derrière moi! C'est lourd, c'est filandreux, comme besogne! Je ne veux pas faire ça ma vie. Je ne veux pas!
Un bouche-à-bouche sur le tableau noir. Une requête urgente de fuite. Écrite d'un mauvais goût, avec les ongles.*
Rires, le temps s'arrête. Il ne me reste que ça, au fond. Toute l'envie matérialiste s'est envolée un soir d'octobre. Bien entendu, la névrose, la vraie, impulse toujours, mais à quoi bon s'en faire, c'est souhaitable de chercher la vérité dans toutes les conditions du désespoir, si loin m'en fusse éloigné.
Qu'essaie-tu de prouver? Ne sens tu pas le film de neige qui fait grésiller tes dendrites?
Les scientifiques se questionnent encore sur le mystère des synapses, ces liens qui unissent les neurones entre elles. On comprend déjà que le cerveau humain est un énorme circuit parallèle, qui peut évaluer des résistances à l'échelle presque infinie, mais le processus de sommation de celles-ci, provenant des synapses, est un mystère qui empêche d'unifier complètement le modèle électrique au modèle biologique.
Rien n'y fait.
Je ne suis pas à la hauteur.
Dans aucun contexte, je ne suis pas à la hauteur. Il faut me remplacer, je peux assister, mais je ne veux pas plonger. J'ai peur.
Bien sûr que tu peux. Tu as un superbe brevet en tête d'ailleurs, et ne perds pas la confiance en tes idées. Elle ne sont pas si fragmentaires, au fond, et puisque l'envie s'en va...mais allez, je n'ai pas fini de raboter, moi, là-dedans, et c'est une grande poudrerie.
***
Par un froid soir d'hiver, François, sept ans, abandonne ti lapin et se glisse hors du lit. Dans l'isolant plastifié de la fenêtre, il voit la forte lumière du bureau, où il entend papa pianoter. À cette époque, l'ordinateur est tourné contre le mur sud de la maison, et l'entreprise demandera la plus grande discrétion.
L'envie noie François d'adrénaline, repoussant le sommeil quelque part ailleurs dans son petit corps propre. Il parvient jusqu'à la malle à linge, dans le couloir, à pas de souris, et jouxte la porte du convoîté bureau.
Encore une fois ce soir, il épiera Papa lors de son rare moment de détente.
Le personnage sautille dans l'écran, tire du pistolet à rayon. Le rythme du jeu est sublime. François tressaille en voyant papa s'en prendre aux Vorticons, papa naguère si sérieux!
Après une dizaine de secondes, sans même prendre la peine de se retourner, papa tonne.
"Va te coucher!"
François détale dans son lit, tout sourire.
*traduction libre, Cedric Bixter-Zavala
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