dimanche 16 septembre 2007

Trophy Wive


"Et maintenant tout le monde, nous vous demandons de ne pas frapper sur la vaisselle avec vos ustensiles. Veuillez plutôt taper sur la table -- ou votre voisin -- si vous voulez que les mariés s'embrassent!" firent les colonnes.

***

Le boeuf se tenait sur une bien drôle de colline. Le jumeau vint caresser le rond de gite, pour un instant. L'onglet se sentait seul au milieu des entrecôtes, mais cela n'avait pas d'importance. Les filets et faux-filets renouaient enfin. Ils s'ennuyaient tant.

Le boeuf était heureux.

Il avait perdu la plupart de ses muscles ligneux voilà quelques minutes, ceux du dos. On lui avait donné une compagnie hostile: tubercules, amidon, phosphates, des composés qu'il traquait naguère en prédateur.

Il se tenait coît, dépourvu, seul. Les végétaux vont se venger dans quelques secondes, pensa-t-il. Il grelottait. On lui avait refusé le réchaut au profit d'une potence en porcelaine. Les légumes froids se pressaient contre lui, comme une dernière étreinte malsaine, sarcastique.

Et c'était arrivé. Il désespéra. Ses nobles et puissants muscles furent broyés et étirés en fils faibles qui se rompaient violemment entre les blocs. Ironiquement, c'était des molaires semblables aux siennes, qui jadis pilonnaient tranquillement l'herbe.

Car voyez vous, la viande était tendre. Pas besoin de canines.

Mais il était heureux. Car juste au moment d'entrer dans un couloir sombre et humide, qui puait l'acide et le flétrissement gastrique, la colline rouge s'immobilisa.

Et dans un moment de grâce, l'un de ces moments où les anges vous touchent gentiment, allumant une claire et aveuglante lumière divine, on lui donna une visite inattendue.

Une partie de son dos qu'il n'avait pas revu depuis le réchaut. Puis il sentit la tranche venir rejoindre un morceau du rumsteak. Tout bougeait lentement, les molaires étaient suspendues dans le ciel, comme des nuages surplombant un palais de béatitude.

La colline se torsadait en une autre. Le boeuf pleurait de joie.

Puis, tout redevint singulier. Le palais se referma, la colline fit une ultime reptation, et dans une glissade salivaire, le boeuf dit adieu au monde.

***

Il ne restait plus que ce sourire d'extrême malaise sur le visage de la mariée pour témoigner de son passage.

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