Ta-clop. Ta-clop. Ta-clop. Pause. Ta-clop. Ta-clop. Pause.
La lumière filtre, blafarde, à travers mon rideau.
Insomnie, cette fois.
J'ai noté mentalement 12h51, 1h12, 3h17, puis 5h35, 10h30, et finalement 11h46.
Waste. Une autre journée. Je distingue vaguement les contours bleutés des meubles, les cornées couvertes de vaseline (au sens figuré). Les cheveux sales (au sens propre), humant la cigarette des galeries d'été.
Ta-clop. Ta-clop. Ta-clop.
Bweee. La femme de ménage est là.
Sans trop y croire, je m'installe en position assise, j'observe mon frêle abdomen dans le miroir de la chambre. Il me faudra pourtant l'affronter, celle-là.
Je m'habille avec les vêtements les plus agressifs que j'ai et j'affiche une mine fermée, sauvage. Ce matin (encore pour 14 minutes), il n'y aura pas de conversation. Tu ne m'auras pas, vieille bique, même si tu te parles toute seule pour attirer mon attention. La guerre est ouverte. Je te hais.
J'ouvre ma porte.
"Ton pére ya tu du linge sale?"
Aïe. Elle attaque.
"Mmh"
Ouf, salve ratée de sa part. Je regarde droit devant moi et j'assiège sa cuisine. Je détruis facilement sa forteresse de produits ménagers sur le comptoir et je me prépare virilement un bol de Corn Pops.
Ta-clop. Ta-clop. Ta-clop. Faut vraiment être croche pour faire le ménage en talons hauts. Elle marmonne. Je ne sais jamais si elle me parle ou si quelques démons en elle l'incitent à converser avec madame balayeuse ou monsieur Net.
Je la déteste.
Soudain, le ton monte suffisament pour que je me sente concerné. Je me barricade derrière un regard totalement désinteressé, puis je quitte mon bol des yeux et lève le visage.
"Suis-tu le hockey un peu?"
Merde. Pas encore. J'implore la post-modernité...il faut que je trouve un juste milieu entre la politesse et "J'm'en calisse vraiment madame."
Un gargouillis, puis je parviens à articuler.
"Euuuh non pas vraiment, j'ai suivi les sénateurs la semaine passée mais..."
Bang! Mon sous-marin prend l'eau. Je lui ai ouvert une porte, ou une écoutille, selon le cas.
"SAVAIS TU QUE MA COUSINE EST PARENTE AVEC FRANÇOIS BEAUCHEMIN D'ANAHEIM? ILS ONT PRIS UN VOL POUR OTTAWA LA SEMAINE PASSÉE, PIS ILS ONT AMENÉ LE BÉBÉ...FRANÇOIS, TSÉ ÇA LUI PRENAIT BEN DU MONDE DANS LE PUBLIC HAHAHAHAHA"
Ta gueule. Ta gueule.
"PIS J'EN AI PARLÉ AVEC MARIUS PIS ON VA ALLER À UN SOUPER DE GOLF À ARVIDA. MOI J'AIME PAS ÇA, MAIS JE PEUX FUMER VU QUE C'EST DEHORS. C'EST DE VALEUR, ON PEUX(sic.) PLUS FUMER AU BINGO"
B1, B2, B3. T'as coulé mon sous-marin.
J'ai pas réussi à placer un mot pendant l'estacade. Malgré mes dents serrées, je parviens à hocher de la tête, songeant à mes céréales qui se ramolissent au prix de la voir soliquoquer, ce qui ne vaut évidemment pas grand chose.
"BON BEN J'VAIS ALLER FUMER"
Ouverture de la porte.Ta-Clop. Ta-Clop.
Ta clope, tu peux te l'entrer profond. Mon désintérêt semble avoir remporté la manche, mais je dois remercier sergeant Nicotine pour son alliance avec mon axe du mal. Je goûte le silence.
Deuxième manche. Je m'enferme dans les toilettes et j'entâme une longue séance d'ablutions, incluant rasage (à mon grand dam, c'est encore trop rare).
Je sors finalement avec une mine déterminée, armé jusqu'au dents, blanches.
"YA UN PET DE TERRE SUR LES PANTALONS DE TA SOEUR"
Sur la couture extérieure-postérieure dudit pantalon, en effet, se dessine l'incriminante tache. Un pet de terre.
Je la regarde dans les yeux. Elle me sourit, d'un sourire inconscient mais aimable. Je lui rends son sourire.
Encore cette semaine, j'ai perdu la bataille. Le drapeau blanc a un pet de terre dessus. J'ai souri. Sincère.
On se revoit vendredi prochain, et cette fois-ci, je vais réussir.
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