"Aweye donc!"
Je souffre d'enthousiasme. J'ai accepté.
Le ciel est tellement bas qu'on vit notre soirée en 16:9. Tristement badigeonné, il nous présente sa marmelade terne, loi de Murphy oblige.
Il rayonne, fier de son accoutrement, les yeux plissés en sourires. Activement la Ford Escort se déleste.
Quel est le meilleur moyen de garder ses amis d'excellente humeur? J'hésite toujours entre partager leur joie (quelques fausses notes au passage) ou simplement faire du rabattement moral pour confirmer le rôle "uptight" de mon invité, qui fera tout pour me contredire. Enfin.
Première option, ce soir. Je ne suis pas d'attaque, la journée fut longue, complaisons.
Ma bouille vaincue mais heureuse sort du garage, deux cannes dans une main, les serviettes dans l'autre, les avirons sur l'épaule et mes cheveux dans un vent d'est qui présage le pire.
Il prend sa tâche au sérieux, et déclâme en connaisseur sa part d'expérience. Je ne connais que les lieux.
Fishing sucks.
Je pousse l'antique chaloupe sur la rivière aux sables, qui dérive paresseusement sur les cadavres de l'époque draveuse. Je prends la proue, lui la poupe. Il pleut. Nous ramons, sourire franc contre sourire vain.
Plénitude. J'entrevois les temps qui s'étire devant moi, un rictus à peine visible sur mon visage humide. Merde. J'aurais fait autre chose, ce soir. Mais je dois plaire. Plaire. Plaire. Vélléité. Karma. Leitmotiv. Voilure.
Et dans le bruissement devenu trop calme, je perfore un anneau dodu de mon premier lombric, je sens ses reptations agonisantes sur ma paume.
Je fais la moue. Mes yeux bas se perdent dans le courant moutonné.
Flash.
Les éléments se déchaînent. Le ciel délavé se brise en plusieurs endroits, les morceaux s'écrasant dans un bourdonnement terrible. Le vol des hirondelles nous fait office de sismographe, elles qui sinusoïdent de la surface picotée jusqu'à l'air devenu vertical.
Seuls.
Deux habitués du coin sont partis, nous spécifiant au passage que "des cannes à pêches brandies sur un lac, pendant un orage, c'est pas conseillé". Pressés, ils dérivent ridiculement vers la pointe de l'île, tanguant et cabotinant dans leur barque.
"Le bonheur, man!"
Couvrant le bruit des plombs aqueux, il sourit sous sa casquette. Murphy nous fait un doigt d'honneur, les éclairs se rapprochent. Mille et un, mille et deux, braooom! Il se met à rire. Mon accès privé à la rivière, si peu poissonneuse soit-elle, lui abat sa condition d'homme au visage. Dans l'oeil de la tempête, le sien brille.
"Man, c'est le meilleur temps pour pêcher!"
J'en ai vu d'autres. Je maintiens mon rictus en sourdine.
"Certain!"
Archimède se noie dans la chaloupe, qui accumule la flotte céleste. Nos cannes vont et viennent dans les rapides. Rien. Je perds des vers, les charcute, les remplace, les empale, les sectionne. Toutes les humeurs possibles glissent sur mes doigts et tombent juteusement dans l'embarcation. À son tour, Hippocrate se noie.
Notre ancre, un vieux différentiel rouillé au bout d'une corde, s'obstine contre les rapides. J'ai bien envie de lui faire respirer ce qu'il reste d'air à la surface et de fuir.
Mais c'est arrivé.
Nous avons d'abord tangé un peu. Il a tiré fort sur sa ligne. J'ai saisi le bord du bateau. Ma bière se renversa parmi les cadavres grecs, sur le sol concave.
"AH BEN CALISSE! CA MORD!"
Une. Et puis deux.
Elles séjournèrent à bord si peu de temps. Il leur brisa le cou, les mit dans un sac prévu à cet effet. Deux belles Ouananiches de 12 pouces. Dans ma rivière. Perdu en forêt, non loin d'un formidable barrage datant de 1924.
***
Il les a eues toutes les deux. Expertise? Probablement. Je n'ai pas son coup de poignet ni son insensibilité, méliorativement parlant. Mais j'eus droit à mon exécution sommaire. La nature m'offrit une Ouitouche grande comme mon majeur. La prise est à peine plus grande qu'une sardine, fin de mon rictus en sourdine. À présent je souris, je goûte la tempête, je fais corps avec le cumulonimbus. Je l'ai hameçonnée à mort avant de l'envoyer rejoindre les Ouananiches.
Six bières vides roulent dans l'embarcation. Nous rions en choeur, battons la
mesure de nos cannes sur les galets joyeux. Peu à peu le ciel s'éclaircit, Murphy agonise à son tour.
Enfin, par décret et non par dépit, nous pagayons en chantant vers le quai.
Je narrai l'exploit à trois reprises, y mettant toute la verve nécessaire. Sans m'en rendre compte j'avais passé deux heures et demie sous la fureur des éléments, le sourire aux lèvres dans l'ensemble.
***
23h00. Le barbecue fume et fait rôtir les Ouananiches.
"Pis qu'est-ce que t'as fait de ma Ouitouche?"
"L'ai côlissé dans 'poubelle."
J'ai ramené trois philosophes, aussi, tsé.
Je souffre d'enthousiasme. J'ai accepté.
Le ciel est tellement bas qu'on vit notre soirée en 16:9. Tristement badigeonné, il nous présente sa marmelade terne, loi de Murphy oblige.
Il rayonne, fier de son accoutrement, les yeux plissés en sourires. Activement la Ford Escort se déleste.
Quel est le meilleur moyen de garder ses amis d'excellente humeur? J'hésite toujours entre partager leur joie (quelques fausses notes au passage) ou simplement faire du rabattement moral pour confirmer le rôle "uptight" de mon invité, qui fera tout pour me contredire. Enfin.
Première option, ce soir. Je ne suis pas d'attaque, la journée fut longue, complaisons.
Ma bouille vaincue mais heureuse sort du garage, deux cannes dans une main, les serviettes dans l'autre, les avirons sur l'épaule et mes cheveux dans un vent d'est qui présage le pire.
Il prend sa tâche au sérieux, et déclâme en connaisseur sa part d'expérience. Je ne connais que les lieux.
Fishing sucks.
Je pousse l'antique chaloupe sur la rivière aux sables, qui dérive paresseusement sur les cadavres de l'époque draveuse. Je prends la proue, lui la poupe. Il pleut. Nous ramons, sourire franc contre sourire vain.
Plénitude. J'entrevois les temps qui s'étire devant moi, un rictus à peine visible sur mon visage humide. Merde. J'aurais fait autre chose, ce soir. Mais je dois plaire. Plaire. Plaire. Vélléité. Karma. Leitmotiv. Voilure.
Et dans le bruissement devenu trop calme, je perfore un anneau dodu de mon premier lombric, je sens ses reptations agonisantes sur ma paume.
Je fais la moue. Mes yeux bas se perdent dans le courant moutonné.
Flash.
Les éléments se déchaînent. Le ciel délavé se brise en plusieurs endroits, les morceaux s'écrasant dans un bourdonnement terrible. Le vol des hirondelles nous fait office de sismographe, elles qui sinusoïdent de la surface picotée jusqu'à l'air devenu vertical.
Seuls.
Deux habitués du coin sont partis, nous spécifiant au passage que "des cannes à pêches brandies sur un lac, pendant un orage, c'est pas conseillé". Pressés, ils dérivent ridiculement vers la pointe de l'île, tanguant et cabotinant dans leur barque.
"Le bonheur, man!"
Couvrant le bruit des plombs aqueux, il sourit sous sa casquette. Murphy nous fait un doigt d'honneur, les éclairs se rapprochent. Mille et un, mille et deux, braooom! Il se met à rire. Mon accès privé à la rivière, si peu poissonneuse soit-elle, lui abat sa condition d'homme au visage. Dans l'oeil de la tempête, le sien brille.
"Man, c'est le meilleur temps pour pêcher!"
J'en ai vu d'autres. Je maintiens mon rictus en sourdine.
"Certain!"
Archimède se noie dans la chaloupe, qui accumule la flotte céleste. Nos cannes vont et viennent dans les rapides. Rien. Je perds des vers, les charcute, les remplace, les empale, les sectionne. Toutes les humeurs possibles glissent sur mes doigts et tombent juteusement dans l'embarcation. À son tour, Hippocrate se noie.
Notre ancre, un vieux différentiel rouillé au bout d'une corde, s'obstine contre les rapides. J'ai bien envie de lui faire respirer ce qu'il reste d'air à la surface et de fuir.
Mais c'est arrivé.
Nous avons d'abord tangé un peu. Il a tiré fort sur sa ligne. J'ai saisi le bord du bateau. Ma bière se renversa parmi les cadavres grecs, sur le sol concave.
"AH BEN CALISSE! CA MORD!"
Une. Et puis deux.
Elles séjournèrent à bord si peu de temps. Il leur brisa le cou, les mit dans un sac prévu à cet effet. Deux belles Ouananiches de 12 pouces. Dans ma rivière. Perdu en forêt, non loin d'un formidable barrage datant de 1924.
***
Il les a eues toutes les deux. Expertise? Probablement. Je n'ai pas son coup de poignet ni son insensibilité, méliorativement parlant. Mais j'eus droit à mon exécution sommaire. La nature m'offrit une Ouitouche grande comme mon majeur. La prise est à peine plus grande qu'une sardine, fin de mon rictus en sourdine. À présent je souris, je goûte la tempête, je fais corps avec le cumulonimbus. Je l'ai hameçonnée à mort avant de l'envoyer rejoindre les Ouananiches.
Six bières vides roulent dans l'embarcation. Nous rions en choeur, battons la
mesure de nos cannes sur les galets joyeux. Peu à peu le ciel s'éclaircit, Murphy agonise à son tour.
Enfin, par décret et non par dépit, nous pagayons en chantant vers le quai.
Je narrai l'exploit à trois reprises, y mettant toute la verve nécessaire. Sans m'en rendre compte j'avais passé deux heures et demie sous la fureur des éléments, le sourire aux lèvres dans l'ensemble.
***
23h00. Le barbecue fume et fait rôtir les Ouananiches.
"Pis qu'est-ce que t'as fait de ma Ouitouche?"
"L'ai côlissé dans 'poubelle."
J'ai ramené trois philosophes, aussi, tsé.
1 commentaire:
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