samedi 16 juin 2007

Bow before Hydro-Québec

Je viens d’une famille matriarcale souverainiste. Ma mère est une lettrée qui a su m’instiller la beauté de la langue, les pronoms relatifs et le plaisir de lire. J’ai compris quelque chose en fin de semaine.

On vient de dépasser Saint-Ludger de Milot. Les deux fourgonnettes laissent derrière elles une décimale importante de poussière alors que les kilomètres s’accumulent.

J’ai une bonne capacité d’évasion durant ce genre de voyages. Je sombre dans une torpeur contemplative, les yeux vaguement attirés par les montagnes, les lacs, et les arbres. S’en suit une ellipse de temps après laquelle, ordinairement, on est arrivé.



Colonne de fumée à l’horizon. Gigantesque. Feu de forêt, à l’ouest de la rivière.
J’émerge tranquillement, soudain captivé par le spectacle, et la journée commence.

À la jonction de la rivière Péribonka et Manouane, dans le nord québécois, on trouve cette pancarte.


Péribonka IV. Un kilomètre carré de travaux, de murs bétonnés, de pierre concassée, d’entassements, de camions. Un désert efficace. 1300 travailleurs, 385 mégawatts de fureur hydraulique, 15 kilovolts par turbine.

1300 travailleurs. Et je viens de comprendre.

Hydro-Québec, c’est la seule entreprise d’état qui possède un potentiel d’exportation efficace. Le cinéma, les arts, la culture, une autarcie qui, bien qu’à la défense de l’identité, ne tient que par les frêles assises du CRTC, des contribuables et des idéaux. Les paroles s’envolent, l’énergie reste. J’observe les camions construire placidement la moraine du barrage, et je songe à Lévesque, Leclerc, De Gaulle, bref, je ressasse des citations.

Le héros du Québec moderne, ce n’est pas un fringuant cowboy barbu, qui revendique à tort et à travers pour culpabiliser des immobilistes. Ce n’est pas non plus un parvenu zen, au volant de sa voiture hybride, rédigeant des notes élitistes sur l’émancipation linguistique. (Pas de faux raccords, je conduis une voiture plus polluante que la vôtre)

Le héros du Québec, ce n’est pas l’artiste accompli qui se présente avec son sourire et ses succès le 24 juin sur les plaines. Le héros du Québec, ce n’est pas non plus le politicien idéaliste qui s’emporte devant un Michel Bissonnet rotatif.

Le héros du Québec, c’est un gars de Mashteuiatsh.

En camisole.

Qui sacre en manipulant la transmission capricieuse de son Tonka géant. À des centaines de kilomètres de chez lui. Célibataire.



Or, sans ce gars là, pas de PIB pour la belle province. Pas de patrimoine. Pas de chansonniers. Pas de nation. Je suis une fourmi au milieu du chantier, béat de sollicitude. J’assiste sur place au terroir contemporain, paradoxalement, et l’horizon est teinté de flammes. Tout le monde se crisse de cette tranche de la population, surtout eux-mêmes.

Pour chaque altermondialiste qui rêve à un Québec rayonnant, il y a un gars dans le bois qui rêve d’une Honda Civic tunée.

La moraine du barrage.

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